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Résilience et réflexions stratégiques : apprivoiser et explorer l’incertitude.

Sharon Greene accompagne les réflexions stratégiques de nombreuses équipes de direction. Pour éviter de confondre prospective et prédictions hasardeuses et se débarrasser de concepts flous et peu crédibles, elle facilite l’intégration des perspectives extérieures dans la réflexion stratégique et la culture d’un esprit résilient visant à accueillir les événements improbables au lieu de les redouter.
Pourquoi la résilience et la prospective ?
Mon intérêt pour la résilience s’est vraiment accéléré, il y a quelques années, lorsque j’ai lu le livre « Imaginable » de Jane McGonigal. Quelques années auparavant je l’avais entendue parler lors d’une conférence à Londres. Elle racontait l’histoire d’un jeu en ligne multijoueur qu’elle avait créé. Ce jeu simulait une pandémie mondiale. Des milliers de personnes y ont joué. Imaginant toutes les perturbations, les fermetures d’écoles, les masques, les pénuries et même la désinformation. C’était bien avant le COVID. Lorsque la véritable pandémie a frappé, certains de ces joueurs lui ont écrit spontanément pour lui dire : « Je ne panique pas. Je me suis déjà entraîné à cela. Je sais comment faire face. »
Cela m’a fait réfléchir. Et si la résilience n’était pas quelque chose que l’on découvre ex nihilo lorsque les choses tournent mal ? Mais, plutôt quelque chose que l’on peut développer en s’exerçant à envisager l’incertitude, à se confronter à l’inattendu et en se forgeant une « mémoire musculaire mentale » pour mieux réagir face aux perturbations ?
C’est précisément ce à quoi je travaille aujourd’hui avec des « leadership teams ». Ainsi, je les aide à découvrir et à renforcer un état d’esprit résilient, afin qu’elles soient non seulement prêtes à faire face aux chocs, mais aussi capables d’y trouver des opportunités.
Pourquoi développer un état d’esprit résilient ?
Plus je réfléchissais à l’anecdote racontée par McGonigal, plus je me rendais compte que la préparation psychologique doit s’appliquer non seulement aux individus, mais aussi aux organisations et équipes destinés à prendre des décisions stratégiques.
À la même époque, je travaillais avec une entreprise mondiale de biens de consommation. J’ai accompagné ses équipes à développer leur capacité d’anticipation et de projection des futurs possibles. J’ai pu constater à quel point il peut être difficile d’amener des décisionnaires à réfléchir à l’avenir lorsque leur attention est focalisée sur l’annonce des prochains résultats financiers ou la gestion d’une crise dans leur chaîne d’approvisionnement. Pourtant, tout le monde semblait avoir conscience de la nécessité de faire preuve de résilience dans un contexte volatile et imprévisible.
C’est à ce moment que j’ai compris. Si je pouvais aider les équipes à comprendre leur « état d’esprit résilient » et leur donner des outils pour le renforcer, alors le travail de prospective ne serait plus perçu par eux comme une distraction certes intéressante mais superflue. Il deviendrait un moyen opérationnel pour renforcer la résilience dont ils savaient déjà avoir besoin.
Mais qu’est-ce qu’un état d’esprit résilient ?
Quand j’emploie cette expression, je ne parle pas simplement de ténacité ou d’adaptabilité. Pour moi, il s’agit d’une capacité d’exploration stratégique, que je décompose en trois éléments simples.
-Le premier, la connaissance du marché. C’est généralement le plus facile à comprendre pour les équipes. Je veux découvrir si une équipe est ancrée dans les tendances commerciales à court terme, ou si elle peut aller jusqu’à anticiper les changements de paradigme.
-Ensuite, j’observe ce que j’appelle l’amplitude conceptuelle. La capacité d’une équipe à sortir de ses repères habituels pour envisager des possibilités et des enjeux qui dépassent les narratifs dominants du moment.
-Enfin, j’examine leur rapport à l’incertitude. Les membres de l’équipe sont-ils prêts à nommer des événements improbables, même si cela les met mal à l’aise ? Une fois que j’ai rassemblé les informations nécessaires pour répondre à ces questions (ce qui, soit dit en passant, est un processus rapide et simple), je peux diagnostiquer la résilience collective d’une équipe et ainsi identifier les points à renforcer et les « muscles » à exercer.
Et ensuite ?
C’est là qu’intervient la dimension prospective.
Une idée reçue consiste à croire que la prospective sert à prédire l’avenir. En réalité, c’est un ensemble d’outils et de méthodes qui permettent d’explorer et de rejouer différentes possibilités.
En fonction du diagnostic établi et de la culture de l’organisation, je sélectionne les approches les plus adaptées à ses besoins spécifiques. Par exemple, lorsque les équipes travaillent à partir de scénarios ou de perspectives externes, leur objectif n’est pas d’avoir « raison », mais de développer cette « musculaire mentale » dont j’ai parlé plus tôt.
Cet entraînement présente deux avantages. D’une part, il élargit immédiatement le champ des possibles, permettant aux équipes de prendre des décisions à partir d’une base plus vaste. D’autre part, lorsque l’imprévu ou l’improbable survient, comme c’est souvent le cas, elles ne sont pas paralysées. Elles ont déjà exploré les «et si…», ce qui leur confère davantage de confiance et d’agilité au moment de la prise de décision.
Quel est l’impact de cette approche ?
Il s’agit d’un changement d’état d’esprit que j’appelle « The Anticipation Avantage » (l’avantage d’anticipation), et j’ai pu le constater à maintes reprises lors d’ateliers. Un exemple marquant est celui d’une équipe de direction dans le secteur de la grande consommation. Nous avons mené un exercice de prospective explorant les répercussions de perturbations de la chaîne d’approvisionnement : des événements climatiques aux tensions géopolitiques. Au début, la discussion était « très tactique », avec des questions telles que « comment protéger nos marges ?». Mais ensuite, alors que nous explorions d’autres scénarios, l’un des membres de l’équipe a soudainement déclaré : « Il ne s’agit donc pas seulement d’un risque. Si ce scénario se réalisait, les besoins et les comportements de nos consommateurs changeraient également ; nous pourrions créer de nouvelles solutions qui leur inspireraient confiance. » On pouvait sentir instantanément le changement d’énergie lorsque l’équipe est passée d’un sentiment de défense et d’enfermement à un sentiment de curiosité et de créativité. Lorsque la peur cède la place à la possibilité, la résilience se construit en temps réel.
La résilience, un moyen de passer de la survie adaptative à l’essor durable
Pour moi, la survie adaptative consiste à revenir à la situation qui prévalait avant un choc, à se stabiliser, à réparer les dégâts et à revenir à la normale à quelques adaptations près.
L’essor durable est différent, c’est ne pas être déstabilisé par «la perturbation », mais pouvoir faire appel à la mémoire musculaire mentale et prendre appui sur l’événement pour devenir plus fort ou plus pertinent qu’auparavant.
C’est la différence entre un métal qui se fissure sous la chaleur et un autre qui, bien trempé, devient plus souple et plus solide à la fois.
Nous devons apprendre à apprivoiser l’incertitude et à la transformer d’ennemie en alliée. En trouvant des moyens de l’utiliser comme moteur d’innovation, de renouveau culturel ou de rapprochement entre parties prenantes.
Regard vers l’avenir
Trop souvent, les outils et les pratiques de prospective restent l’apanage de quelques grandes entreprises disposant des ressources nécessaires pour développer ces capacités en interne.
Pourtant, je suis convaincue que les équipes de direction, quelle que soit la taille de leur organisation, peuvent accéder à ces approches et en tirer pleinement parti, sans devoir internaliser cette fonction.
Pour moi, la réussite consisterait à voir davantage d’équipes « leadership » élargir leur champ de vision, intégrer régulièrement des perspectives extérieures et accueillir les événements improbables au lieu de les redouter. Plutôt que des réactions de déni ou de repli, les équipes passent à l’action en se disant « Nous avons déjà exploré ce scénario et savons comment réagir face à cet événement. »
Si je peux aider davantage de dirigeants à développer cet état d’esprit résilient, à la fois stratégique et profondément humain, ils ne se contenteront pas de traverser les turbulences : ils apprendront à façonner les opportunités qu’elles révèlent.
Sharon Greene
Sharon Greene, MBA d’EM Lyon, fondatrice d’Informed Intuitions, est praticienne en prospective et stratégie d’entreprise, forte de plus de vingt ans d’expérience en conseil.
Elle accompagne les dirigeants et leurs équipes dans la compréhension de la manière dont les valeurs des consommateurs, les technologies émergentes et les évolutions politiques, économiques, environnementales et sociales transforment les marchés.
En combinant méthodes qualitatives et quantitatives et une veille de macro-environnement approfondie, elle traduit les signaux forts et faibles en processus d’aide à la décision.
Ses projets couvrent les secteurs de la mode et du luxe, des biens de consommation, des technologies de l’information, de la cybersécurité, des télécommunications, de l’éducation numérique (EdTech) et des sciences de la vie.
Praticienne du « human first, human last », elle utilise l’IA pour accélérer l’analyse tout en plaçant le jugement humain et l’éthique au cœur de sa pratique.
Son travail met l’accent sur la circularité, la résilience et la conception d’opportunités, aidant les organisations à aligner ce qu’elles défendent avec ce qu’elles réalisent.
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