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Finance durable : l’Europe s’adapte mais ne doit pas y renoncer.

L’Europe, sous l’actuelle pression américaine, revoit à la baisse ou dans le temps certains éléments liés à l’ESG. Mais la plupart de nos interlocuteurs y voient moins un retour en arrière qu’une simplification bienvenue face à des excès normatifs. La Finance durable demeure toutefois une priorité européenne et c’est tant mieux.
Interview d’Olivier Provost, Directeur Associé Corporate – Finance chez Rumeur Publique.
PRISMES – Ces dix dernières années, Rumeur Publique s’est beaucoup développée dans le secteur banque-finance-assurance. Du coup, en tant qu’agence engagée, Rumeur Publique a été amenée à traiter en profondeur le sujet de la finance durable. Or, sous la pression des Etats-Unis, notamment sous l’ère Trump, on a l’impression ces derniers mois que l’Europe, jusque-là en pointe sur ce sujet, est en train de faire machine arrière pour ne pas perdre en compétitivité. Quelle est votre analyse en tant que Directeur Associé de l’agence ?
Olivier Provost – C’est vrai qu’en travaillant pour des acteurs comme AXA IM, Amundi et CPR AM, BNP Paribas, PWC, Entrepreneur Invest dans le private equity (capital-investissement) ou encore Saretec dans l’expertise sinistre en assurance, nous connaissons bien, chez Rumeur Publique, en particulier dans notre pôle Banque-Finance-Assurance-Conseil, ce sujet de la finance durable au sens large du terme.
Quand on parle finance durable, ESG (Environnement Social Gouvernance), CSR en anglais, soit une logique extra-financière, il est vrai particulièrement développée en Europe, on l’oppose souvent à une vision purement financière et court-termiste, fondée sur la seule valeur de marché (« market value »), qui est, elle, plus américaine. Cela pourrait d’ailleurs sembler paradoxal car les Etats-Unis sont une économie beaucoup plus désintermédiée que la nôtre où des investissements de long terme, retraites, santé, infrastructures, s’appuient davantage sur les marchés financiers que sur des acteurs comme les banques, les assureurs ou des institutions publiques comme la Caisse des Dépôts. Mais c’est ainsi, c’est culturel. Les Américains misent beaucoup plus sur la Bourse et les valeurs cotées, y compris via la gestion passive, les ETF (Exchange Traded Fund), que les Européens. Une culture qui est aussi génératrice de bulles donc de krachs, de celui de 1987 à la crise des subprimes de 2007-2008 en passant par celle de 1998, tout aussi systémique mais que beaucoup ont oubliée, des fonds à énorme effet de levier lié au fonds LTCM (ironiquement : « Long Term Capital Management) ».
Il est vrai que l’Europe, sous l’actuelle pression américaine, vient de décider dans le cadre d’une revue surnommée par Bruxelles « Omnibus » de revoir à la baisse ou dans le temps certains éléments normatifs liés à l’ESG, contenus notamment dans la CSRD, Corporate Sustainability Reporting Directive. A première lecture, cela peut apparaître comme un recul sous la pression américaine. Mais je pense qu’il faut faire une lecture plus fine de ces récents événements.
PRISMES – C’est-à-dire ? Une « lecture plus fine », cela ressemble un peu à de la communication pour masquer un début de renoncement.
OP – La question est légitime, surtout venant de professionnels de la communication et des messages. Mais ce que nous entendons sur le marché aujourd’hui, c’est que la plupart de nos interlocuteurs y voient moins un retour en arrière qu’une simplification bienvenue face à certains excès normatifs assez européens qui imposaient des contraintes, pas toujours nécessaires et d’une extrême complexité, sans pour autant servir autant que prévu la cause de l’ESG. Du coup, le risque était que la surabondance de normes en Europe n’y crée des contraintes qui auraient pu générer un déficit de compétitivité par rapport à des acteurs, anglo-saxons notamment, moins soumis à ces règles et à ces normes.
Cela dit, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La dynamique enclenchée en Europe en faveur de ces sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance demeure, aucun acteur sérieux n’y renonce même si on constate des adaptations. Car elle est évidemment vertueuse. Et n’en déplaise à Wall Street, elle est même incontournable à moyen-long terme : les dégradations environnementales, les risques sociaux et les dysfonctionnements de gouvernance ne permettront pas de bâtir un futur durable, même voire surtout dans un monde capitaliste dont l’objectif est la création de valeur.
Mais c’est une analyse difficile à faire partager à ceux qui ne vivent qu’au jour le jour, sur les marchés boursiers et financiers, et qui n’ont eu à la bouche ces deux dernières années que l’investissement sur les « magnificent seven » (Alphabet-Google, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia, Tesla) voire pour les plus jeunes sur les cryptomonnaies dont le bitcoin.
PRISMES – Qu’est-ce qui ferait ou fera que cette vision européenne pourrait finir par l’emporter ?
OP – Déjà, répétons-le, l’Europe ne renonce pas à l’ESG, elle adapte un peu sa démarche, de façon plus pragmatique, plus concrète, moins excessivement normative. Cela étant, on l’a compris, le simple bon sens inspiré par la phrase de l’ex-Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki Moon, « il n’y a pas de plan B car il n’y a pas de planète B » ne suffit pas à convaincre les Ayatollahs d’un libéralisme sauvage de marché qui minore voire exclue les éléments extra-financiers. Si le bon sens ne suffit pas, une des clés (désolé, assez « trumpienne »), c’est de créer un rapport de force. En d’autres termes, l’Europe doit déjà avancer unie – ce qui n’est pas toujours le cas -, et si possible ne pas avancer seule.
Chacun à sa façon, mais c’est un sujet qui peut générer des ponts avec l’Asie, l’Inde voire la Chine sur certains aspects environnementaux (moins bien sûr sur les sujets sociaux ou de gouvernance « démocratique ») et même avec d’autres acteurs, historiquement proches des Etats-Unis et dont la Maison-Blanche s’éloigne comme le Canada ou le Royaume-Uni. Ces liens à tisser le seront d’autant plus facilement que sous la pression, l’Union européenne revoit un peu sa copie pour la rendre plus digeste et plus applicable.
Ce qu’il faudrait éviter, c’est une situation comme on l’a connue sur la comptabilité avec des normes internationales, IFRS, non appliquées aux Etats-Unis qui, eux fonctionnent en US GAAP (United States Generally Accepted Accounting Principles).
Ensuite, et en étant optimiste, on peut aussi se dire que les acteurs court-termistes vont peut-être finir par se faire « rattraper par la patrouille » et que les marchés vont commencer à sanctionner les acteurs les moins vertueux, par exemple les entreprises énergétiques, du « Oil and Gas » qui n’ont pas amorcé une réelle transformation et une diversification vers les énergies renouvelables ou nucléaires, moins émettrices de CO2. Cela peut paraître une vision un peu angélique mais les marchés sont pragmatiques et finissent toujours par sanctionner les situations destructrices de valeur. Mais c’est vrai, leur prise de conscience prend souvent un peu de temps.
Olivier Provost Directeur Associé Corporate – Finance – olivier@rumeurpublique.fr
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