L’éloquence se niche dans les détails

12 décembre 2024

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, et de tous les côtés au Soleil exposé, six forts chevaux tiraient un Coche. Femmes, Moine, vieillards, tout était descendu… Ces célèbres vers de Lafontaine, tous les élèves que nous fûmes ont dû les réciter avec plus ou moins de bonheur au tableau. Mais aussi difficile que soit l’exercice, personne ne peut nier la précision avec laquelle ces vers décrivent la scène. On s’y croirait !

 

Ce quatrain est l’exemple parfait d’une hypotypose.

Ce nom barbare définit une description narrative si détaillée, si vivante qu’elle donne l’impression d’être vécue. C’est une figure de rhétorique utilisée par les plus grands écrivains comme Proust, Flaubert ou encore Hugo. Qui donne du souffle à leurs romans et l’envie de les lire. Mais les grands orateurs en usent aussi. Fabrice Lucchini par exemple, grand admirateur de Lafontaine, y recourt systématiquement. Il capte notre attention en décrivant par le menu des épisodes du quotidien pour, souvent, en dénoncer l’absurdité. Dans un autre registre, plus grave, Wolodymyr Zelensky, le président ukrainien, utilise également l’hypotypose pour donner à voir la guerre en son pays, les ravages provoqués, et convaincre ainsi ses homologues de le soutenir.

 

Insérer des hypotyposes dans un discours ou un écrit ne peut que faire du bien. Cela permet de donner de l’aspérité au propos, souvent rédigé dans un style neutre, aseptisé quand il s’agit de contenus professionnels. Et surtout, cela permet de convaincre ses auditeurs ou ses lecteurs. « C’est tellement vrai, il ou elle n’a pas pu l’inventer. » Souvent, pour décrire une stratégie ou l’activité d’une entreprise, on recourt à des formules alambiquées, très conceptuelles, avec un brin d’emphase quand le marketing s’en mêle un peu trop. Les audaces rhétoriques se résument le plus souvent à des euphémismes mous ou des comparaisons sans imagination. Alors qu’il suffirait de décrire deux ou trois moments précis d’une journée de travail pour bien faire comprendre de quoi il retourne. Et de se différencier. Les discours « corporate » se réduisent souvent à la fonction référentielle, empruntant le style passe-partout d’un mode d’emploi. Le recours à l’hypotypose permet d’activer la sixième fonction du langage définies par le grand linguiste Roman Jakobson, la fonction poétique. Un peu d’hypotypose mais pas trop, pour des discours inspirants, ou plutôt inspirés.

 

Christophe Quester, Directeur Conseil
christophe.quester@rumeurpublique.fr