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Nos désirs et nos récits sont à la fois nos freins et nos leviers d’action.  

Côme Girschig est un conférencier engagé. Diplômé des Ponts et Chaussées et de Sciences Po Paris. Il est venu donner une conférence chez Rumeur Publique le 4 novembre dernier dans le cadre du Campus Universe et accorde une interview exclusive pour PRISMES.

PRISMES : vous êtes ingénieur de formation et conférencier engagé. Vous vous dites « inquiet de la tournure des événements ». Qu’est-ce qui vous inquiète ?

Côme Girschig : On dit souvent que nous manquons de nouveaux récits. En réalité, je constate chaque jour l’existence et le développement de nouveaux récits politiques, économiques, écologiques. Mais des récits minoritaires, peu représentés et qui suscitent peu d’adhésion malgré la situation que nous connaissons tous. Nous vivons une saturation de notre capacité à désirer à cause d’une infrastructure existante très efficace pour contrer l’autonomie désirante. Ce qui oriente mon travail aujourd’hui c’est que ces récits ne peuvent pas s’imposer ou même seulement être reçus si les désirs humains n’y sont pas préparés. Nous savons que nous devons viser une certaine forme de sobriété, un nouveau rapport politique au monde et pourtant, et en tant qu’ingénieur je suis le premier à le faire, nous restons fascinés par la tech, l’innovation, l’invention techno-solutionniste dans lesquelles nous plaçons irrationnellement énormément d’espoir.

PRISMES : Quel est l’exemple qui vous semble le plus parlant ?

CG : Dans mes conférences, j’aborde souvent le sujet de l’aviation qui connaît une croissance permanente alors que c’est un des secteurs les plus polluants. Et on nous dit, pas de problème, bientôt nous aurons l’avion à hydrogène. Mais s’il est probable que nous disposions de cette nouvelle technologie à moyen terme, on ne sait pas du tout comment produire proprement de l’hydrogène en quantités suffisantes. Ce n’est donc pas raisonnable de fonder la croissance et l’avenir de ce secteur sur des promesses infondées. Pourtant, ce serait génial un avion à hydrogène. Mais ce récit étouffe tous les récits alternatifs.

PRISMES : Que faudrait-il faire ?

CG : Tous les auteurs de la technocritique, des plus anciens (Ivan illich, Jacques Ellul…) jusqu’aux plus récents (Hartmut Rosa et sa critique de l’accélération) sont passionnants mais leurs analyses et leurs thèses ne suffisent pas face aux récits majoritaires, imposés et imposants qui bloquent notre capacité d’accueil, nos désirs. De l’autre côté du spectre, les discours écologiques, aussi convaincants soient-ils, font une part trop belle à la contrainte. Mais qui désire la contrainte ? Qui peut être séduit par le renoncement ? Comme l’explique brillamment le chercheur Alexandre Monin, il faut une ingénierie du renoncement pour trouver une alternative à chaque dépendance. C’est pourquoi j’analyse les vecteurs qui structurent les désirs humains pour voir comment s’extraire du discours ambiant et recréer de la disponibilité désirante chez nous tous.

PRISMES : Il y a donc un rôle important à jouer pour la communication ?

CG : Absolument. Il faut d’abord une parole nette, éviter de jouer sur les mots pour cacher l’inavouable. Lutter contre le greenwashing. Stopper les discours qui altèrent la perception du public et réduisent nos désirs de récits alternatifs en bloquant nos imaginations. Prenons l’exemple de la chute de la filière Bio. Il faut ici mettre en cause les discours trompeurs. En l’occurrence, le discours médiatique sur le Bio a fait porter la baisse des ventes sur l’inflation : des prix trop élevés empêchaient les consommateurs d’accéder aux produits Bio. La réalité, et il suffisait de prendre connaissance du rapport de la Cour des comptes sur le sujet, était que la prolifération de labels sans fondement (HVE entre autres) ont purement et simplement laminé la confiance des consommateurs dans le Bio. Il y donc beaucoup de travail en communication pour déblayer le terrain, éviter les contre-vérités volontaires ou paresseuses et laver le paysage informationnel des discours trompeurs et néfastes. De plus en plus de dirigeants d’entreprises expliquent ce qu’ils font, leurs expériences, leurs réussites … et leurs échecs. Lisez le livre de Christopher Guérin (Pour aller dans le bon sens – Éditions du Cherche Midi) l’ex PDG de Nexans. Il explique en détail comment il a simplifié pour amplifier et décidé de ne pas faire plus mais de faire mieux. En 7 ans, Nexans a multiplié son EBITDA par presque 3, ses liquidités par 10 et réduit ses émissions de carbone de 40%. Ces discours sont concrets, incarnés, et ça change tout.

PRISMES : Quelle est la bonne échelle pour agir ?

CG : Évidemment locale, car c’est à l’échelon local que l’on agit le mieux et que chacun peut participer et mesurer les effets. Et c’est localement que les effets se font sentir le plus vite. En même temps, je suis persuadé que l’Europe, et la France au sein de l’Europe ont un rôle international majeur à jouer. Le « Drill baby drill » États-uniens ne mène nulle part à long terme, et dire que le changement climatique est la plus grande escroquerie est totalement contreproductif. Notre réglementation européenne, nos engagements politiques, climatiques, sociaux sont très innovants et inspirants même si nous souffrons d’un manque de cohésion. Mais le sel de la France c’est sa capacité et son envie de rayonner dans le monde, ce qui ne passe pas nécessairement par la seule puissance économique. Je pense que nous avons un récit à porter, un récit nouveau et inspirant sur l’écologie. Une vision qui passe par la régulation et une culture différente qui serviront de ciment à notre crise identitaire même si nous ne représentons que 1% des émissions. Notre valeur dans le monde, notre richesse, c’est de porter une culture, des valeurs, l’humanisme. Quand on sait que l’écologie est précisément un changement de valeur, de rapport au monde, qu’attendons-nous pour croire en notre potentiel ?



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